Une « affaire, c’est d’abord des gens ».
Après, c’est aussi comme ce soir frais de février, un paysage d’entrepôts, le bord d’une départementale qui se vide, à 20mn de Marseille. Au volant de son 4×4 Honda noir aux vitres fumées, Boniface Alfonsi, 58 ans dont près de 40 ans de « filoche », , allume la première cigarette d’une longue nuit de veille : l’homme a beau être « un solitaire, au fond », la nicotine est cette douce compagne de planque dont il ne saurait se passer. Pas plus que de ses sempiternels Frisk à la menthe : « Parfois, c’est tout ce que je vais manger pendant une filature. »
On observe le départ du dernier cadre, appareil photo et caméscope équipé de Night Shot à portée. Il est 20h. C’est fou comme soudain ça peut devenir fascinant, le silence, un hangar dans la nuit. Fumer, scruter l’ombre avec des yeux de chat–vous n’aviez pas décelé l’homme près du mur, à 200m, Boniface, si : « le vois une photo une fois, elle se grave dans ma tête pour toujours. Physionomiste, ça ne s’apprend pas, c’est là », dit-il en se touchant le front. Comme l’ingéniosité qui permet de rafistoler des chaussures qui vous tuent les pieds en pleine filature avec. une ampoule d’hôtel brisée.
En 40 ans, depuis la fin de la « brigade des cocus » — dissoute avec la dépénalisation de l’adultère, en 1975
— il a pisté des milliers de gens à travers le pays. « Sur la nature humaine, j’en ai appris de belles. La lâcheté, vous voyez » : couples brisés (encore 50% de ses affaires : « Quand une femme a un doute, elle a presque toujours raison »), entreprises spoliées, l’humanité qu’Alfonsi côtoie ne se présente pas sous son meilleur jour.
« Il faut l’amour des gens. Sinon vous ne tenez pas. » Du physique, aussi : « 12h le cul sur une moto sous la pluie, c’est ça la réalité. » S’attendre à tout : « Je me suis déjà fait repérer. Il faut improviser. J’ai suivi un ancien de la French Connexion : un truc que vous ne pouvez pas faire de travers. » Trois fois, un homme, jeune, passera près du 4×4. On le toise. Lui aussi. Quand le fiston ne répond pas sur son portable, les choses et les coeurs s’emballent : « C’est pas normal », lâche Boniface entre ses dents. Ce qui n’est pas normal, il déteste.
Demi-tour à la Schumi sur la route. Antoine est près de sa moto, gelé mais OK : « Mon portable se déconnecte. » Boniface n’engueule pas, il respire : « Ce petit, il est tendre encore. » Le monde qu’il frôle, beaucoup moins : « Avoir peur, ça n’arrive pas souvent, mais ça arrive. » Le privé n’est ni un barbouze ni un
« faiseur de miracles », ni un personnage pour TF1: juste un gars pugnace qui sait lire entre les ombres de la nuit. Et rempiler encore : rentrés bredouilles mercredi, les Alfonsi ont remis ça le jour suivant…